Bruxelles : quand le télétravail bouscule la politique immobilière de la Commission européenne. Il y a du déménagement dans l’air, du côté de la Commission européenne. Elle va quitter trois bâtiments qu’elle loue à Auderghem. Plus de 1000 personnes y travaillent, ou plutôt y travaillaient. La crise sanitaire est passée par là, le télétravail obligatoire aussi. C’est aussi le résultat de la nouvelle politique immobilière de la Commission européenne.
Quitter les bâtiments périphériques
On dirait trois paquebots, en file indienne, amarrés le long de l’E411, à Auderghem. Ces immenses bâtiments quadrillés par des fenêtres sont loués par la Commission européenne depuis une trentaine d’années. Mais avec la crise sanitaire, tout semble désert, ou presque. De mémoire de voisins, on n’avait jamais connu la commission si discrète : « Avant le covid, il y avait toujours des taxis garés ci et là et des gens près des entrées. Donc oui, ça fait très vide pour l’instant », assure un voisin tirant son cabas.
Si elle est discrète en ce moment dans ce quartier, la Commission européenne n’est pas très bavarde non plus quand il s’agit d’aborder les changements en cours. Didier Gosuin, bourgmestre d’Auderghem, assure qu’il ne savait pas que la commission allait bientôt s’en aller : « depuis près d’un an, ils sont quasi tous en télétravail. Sur un bâtiment qui accueillait 1200 fonctionnaires, il n’y en a plus que 100″, raconte l’ancien ministre bruxellois.
« J’avais plutôt les informations inverses, que le personnel s’y sentait bien. Pour différentes raisons : d’abord c’est un superbe bâtiment [construit par les ateliers de Genval et imaginé par l’architecte Jacqmain] mais aussi parce que c’est bien situé, troisièmement, il y a beaucoup de fonctionnaires européens qui habitent ces communes-ci. Certains viennent à vélo, via la promenade verte, il y a le métro tout près. C’est très accessible ! »
Et Didier Gosuin de pester : « On connaît les décisions de la Commission européenne, c’est très erratique ! A chaque commissaire, je crois que ça change. »
Télétravail et Green Deal
La Commission européenne a décidé de ne pas reconduire les baux de ces trois bâtiments. Et elle pourrait aussi quitter les quatre autres dont elle est propriétaire à l’avenir. Comme ceux d’Evere, les bâtiments loués sont quasi vides depuis plus d’un an.
L’une des explications, c’est le télétravail qui va s’inscrire dans la durée. Aujourd’hui, il tourne autour de 80% pour ses plus de 20.000 travailleurs Bruxellois. Mais après le coronavirus ?
La Commission européenne y réfléchit, c’est ce que nous dit Alain Hutchinson, Commissaire du gouvernement à l’Europe. Il est chargé de la liaison entre Bruxelles et les institutions :
« La commission estime que le télétravail pourrait être pérennisé dans une proportion d’à peu près 40%. Ça veut dire : on va au boulot trois jours, on travaille deux jours à la maison. Ou vice et versa. De semaine en semaine, ça peut varier. Mais ça veut dire donc une charge d’hébergement de travailleurs si je puis dire de 40% moins lourdes. Donc une réduction dans la foulée des surfaces de bureaux nécessaires de 40% ».
Ce qui va changer aussi, c’est l’organisation des bureaux : plus de places attitrées, les fonctionnaires passeront à des paysagers à partager.
Si la Commission européenne communique peu, c’est parce que sa nouvelle stratégie de ressources humaines est encore en construction. Mais elle confirme des changements en cours. Le télétravail est un argument, mais l’autre, c’est sa volonté de veiller à son impact sur l’environnement, comme nous l’écrit l’une de ses porte-parole : « La Commission évalue la meilleure façon d’utiliser ses surfaces en tenant compte de ces nouvelles méthodes de travail, mais aussi afin de réduire encore davantage son impact sur l’environnement (par exemple, en remplaçant les bâtiments à faible performance énergétique par des bâtiments récents présentant les normes les plus élevées en matière de performance énergétique)… »
Détruire, reconstruire
Ces bâtiments sont pour la plupart situés dans le quartier européen. On peut citer récemment les bureaux du bâtiment Copernicus qui viennent d’être cédés à la Commission européenne pour 20 ans, ou encore la très controversée tour The One.
Cet argument environnemental, pour coller au mieux au pacte vert européen, le fameux Green Deal, Marco Schmitt le balaie d’un revers de la main. Il vit dans ce quartier et jongle avec deux casquettes : président de l’Association Quartier Léopold et jusque très récemment, engagé au sein d’Inter Environnement Bruxelles :
» Au-delà du fait que cette tour The One est une catastrophe d’un point de vue de son insertion paysagère, étant donné qu’elle dépasse tous les gabarits, elle traverse même la perspective des Arcades du Cinquantenaire, elle a un coût énergétique épouvantable. On a démoli un immeuble qui était déjà le plus haut du quartier pour en construire un beaucoup plus haut encore. Tout ça, ce sont des conceptions d’Ancien Régime, excusez-moi de le dire comme ça ».
Se regrouper dans le quartier européen
L’objectif de la Commission européenne, c’est donc aussi de « regrouper » les fonctionnaires dans le quartier européen, d’après ce qu’Alain Hutchinson en sait : « Puisque ce qui est très dérangeant dans le travail de la Commission, c’est précisément ce morcellement, cet éloignement des services, vous ne pouvez pas aller voir un collègue sans prendre le métro, le bus ou un vélo pour aller X kilomètres plus loin. Je pense que là, il y a une vraie volonté de recentrer les services vers le quartier européen ».
Un quartier en crise, sans doute l’un des plus frappés par la crise. Comme ici, toute l’activité tourne autour des bureaux et de leurs travailleurs, partis. Giovanna Nardi sait que ce ne sera plus jamais comme avant. Elle a pourtant le sourire ce midi-là, mais son petit resto italien est désespérément vide : « Même le take-away n’a pas de succès comme d’autres endroits, parce que personne n’habite ici et on ne voit pas ce quartier de cette façon-là, c’est un quartier qu’on voit pour travailler ». Elle dit (sur) vivre sur fonds propres, histoire de ne pas faire couler l’enseigne qui existe depuis bientôt 60 ans : « Ma maman et ma tante ont ouvert, alors que le Berlaimont n’existait pas encore ! Elles ont vu la construction du Berlaimont ».
Et c’est tout le quartier qui tire la langue : « Tous les restaurants, les coiffeurs, les instituts sont fermés », explique Nicole Du Jacquière, présidente de l’Association des commerçants du carrefour Jean Monnet. « Tous ces commerces ont été faits pour des gens qui travaillent, qui sont là, qui font leur shopping le midi ; toute la vie tourne autour des bureaux. »
Se transformer pour devenir résilient
D’autres bureaux devraient bientôt sortir de terre. La Commission européenne attend la construction de la Tour Realex, haute de 128 mètres. A côté de The One, elle devrait héberger notamment son centre de conférence. Mais qu’en sera-t-il du projet de « l’îlot 130 » qui visait lui aussi à densifier les surfaces de bureaux des institutions ?
Pour Marco Schmitt, « Si on veut que les choses changent, il ne faut pas encore plus de mètres carrés de bureaux ! Il faut penser les choses plus globalement, avec le vide locatif ailleurs. Et puis il n’y a pas seulement une mixité fonctionnelle à trouver dans le quartier mais il faut aussi une mixité sociale. Tout ça pour le rendre plus résilient en règle générale ».
Cette mixité fonctionnelle est l’une des promesses du PAD Loi, le Plan d’Aménagement Directeur, selon perspectives.brussels.
Article écrit par Aline Wavreille, Le Soir, publié le 26/04/21 à 10h21. Retrouvez l’article ici.